Ardent militant du rapprochement franco-allemand dès la fin de la Grande Guerre, vice-président du Comité France-Allemagne depuis 1935, Fernand de Brinon est promu en 1940 au poste d'"ambasseur" puis de délégué du gouvernement français dans les territoires occupés. Ces Mémoires posthumes et inachevées (pour l'essentiel, il s'agit de notes dictées à sa secrétaire et maîtresse Simone Mittre puis rassemblées en vue de Mémoires définitives) confirment que le journaliste improvisé diplomate était l'avocat du IIIe Reich à Vichy.
Le récit donne une place considérable aux crises qui ont émaillé - et gâché, selon l'auteur - la politique de collaboration. Du renvoi de Pierre Laval en décembre 1940 - la "machination du 13 décembre" (66) - à la crise gouvernementale de novembre-décembre 1943, en passant par la retentissante évasion du général Giraud de Königstein (avril 1942), Fernand de Brinon déplore à chaque fois les erreurs et le manque de compréhension des dirigeants de l'Etat français par rapport à la mentalité allemande et aux attentes d'Adolf Hitler. Convaincu du génie et de l'esprit chevaleresque du Führer, il juge avec commisération la politique de Laval, incapable de s'élever à de telles hauteurs. L'ambassadeur pense avoir l'oreille du maréchal Pétain - qu'il présente comme un partisan résolu de la collaboration, aucunement gagné au double jeu -, mais il échoue à le convaincre de constater l'état de guerre avec les Alliés après le débarquement en Afrique du Nord (novembre 1942). Seul le secrétaire général à la Police René Bousquet lui donne l'impression, alors, de partager ses vues énergiques.
Fernand de Brinon s'étend peu sur l'année 1944 et son rôle à Sigmaringen - s'il a refusé de prendre la tête d'un gouvernement national et révolutionnaire en exil, comme Ribbentrop le lui a demandé, il accepte de diriger une délégation baptisée "Commission gouvernementale française pour la défense des intérêts nationaux". La mésentente règne parmi le dernier carré des collaborateurs. Marcel Déat est ainsi dépeint sous les traits d'un "dégonflé" (219) et d'un théoricien déconnecté de la réalité. Les dernières pages sont consacrées à l'instruction et au procès de Brinon en Haute Cour. L'ex-ambassadeur pointe l'hypocrisie de ses juges, qui servaient Vichy avec zèle quelques années plus tôt, et regrette que le seul témoin ayant parlé en sa faveur avec des mots justes soit un étranger, l'Allemand Otto Abetz...
Reçu par Pétain, Laval, Hitler, Ribbentrop, Goering ou Abetz, se déplaçant à Vichy, Paris, en Allemagne, à Vienne, en URSS, Fernand de Brinon est aux premières loges de la politique de collaboration. Son témoignage est celui d'un esprit faux ou d'un dupe ambitieux ayant tendance à déformer outrageusement les faits (ainsi sur la politique antijuive). Mais il présente l'intérêt incontestable de montrer le poids des facteurs humains - querelles d'ego, susceptibilités et vanités personnelles, sens de l'honneur dévoyé ou hors de propos - dans le quotidien de la collaboration franco-allemande.
Laurent Joly